Submitted by Joshua Barrière.ACA

Joshua is a native of New Hampshire, Pinardville, currently studying at Laval University in Quebec.

J’aimerais d’abord remercier le Centre franco-américain de m’avoir permis d’écrire un petit billet pour leur blogue. Ensuite, je vais me présenter. J’ai grandi à Pinardville dans le New-Hampshire et j’ai été diplômé de Goffstown Area High School en 2012. L’année suivante, je suis rentré à l’Université Laval où j’ai terminé mon baccalauréat en français, langue seconde avec une concentration en études littéraires. Maintenant, je fais ma maîtrise en études littéraires à la même université. Mon mémoire de maîtrise porte sur les correspondances d’Yvonne Le Maître, journaliste pour plusieurs journaux franco-américains dont L’Étoile et Le Travailleur. D’ailleurs s’il y en a parmi vous qui ont des renseignements sur Yvonne Le Maître que vous jugez importants à me donner, vous pouvez m’appeler au (418) 265-9543.

Bien, je me suis introduit, maintenant je vais expliquer ce que je souhaite accomplir dans ces billets mensuels. À chaque mois, je vous présenterai des documents franco-américains que je découvre à travers mes recherches. Je tenterai de mettre en contexte ces documents et d’expliquer leur importance.

Ce mois, j’ai décidé de vous présenter une légende d’Adélard Lambert publié dans un livre de légendes franco-américaines (https://archive.org/details/legendesfrancoam00lamb). Adélard Lambert était un conteur de très haut niveau, il a publié plusieurs recueil de contes dont celui qui a déjà été mentionné, Rencontres et Entretiens et Contes de Tante Rose. Il a aussi fait publié un roman en feuilleton Innocente Victime qui a été réédité par la National Materials Development Center en 1980. De plus, grâce à Adélard Lambert, les gens de Manchester jouissent d’une des plus riches bibliothèques franco-américaines de la Nouvelle-Angleterre. Adélard Lambert était ce que je qualifierais de bibliophilie selon l’article de Rosaire Dion-Lévesque1, Lambert adorait tous les livres et il a sauvé un bon nombre de livres des dépotoirs. Mais, pour lui, le contenu des livres était aussi très important. Ses aventures de collectionneur sont détaillé dans son Journal d’un bibliophile publié en 1927. Pour plus de renseignements concernant Adélard Lambert je vous prie de consulter l’entrée dans le Dictionaire des auteurs franco-américains de Claire Quintal et Armand Chartier (http://www.assumption.edu/sites/default/files/french-institute/LAMBERT%20Adélard.pdf).

Hiver des corneilles”, la légende que je vous présente aujourd’hui, a aussi été publiée dans Le Messager dans la chronique féminine “Chez Nous” le 29 mai 1912 quand Liane (Camille Lessard) en était la directrice. La légende était précédée de cette petite note :

Mademoiselle Liane,

Ayant été élevé ici aux États-Unis, je trouve étrange la manière de dire de nos vieux canadiens. Quoique n’ayant été qu’aux petites écoles dans mes heures de loisir je prends plaisir à noter ce que me racontent les vieillards. Ce sont quelques explications de ces petites essaies littéraires que je vous adresse en même temps que votre lettre.

Espérant qu’ils sauront vous intéresser quelque peu. Je suis votre dévoué.

A. Lambert

Manchester, NH

Dans ces temps printaniers, cette légende qui raconte les origines de la corneille est particulièrement appropriée. J’espère que vous allez lire ce petit texte et penser à l’enfance et aux origines. De nos jours, nous avons toujours la tête tournée vers l’avenir, tandis qu’il serait bien de nous regarder parfois vers le passé, nos ancêtres et nos origines. Leurs histoires ne sont pas si différentes que les nôtres.

Joshua Barrière

Québec, Québec

1 “Bibliophiles et bibliomanes”, L’Information médicale et paramédicale, Montréal, vol. XXI, No 7, 18 février 1969.

LHIVER DES CORNEILLES

Adélard Lambert

Après deux semaines dune température maussade de fin dhiver, le printemps nous revenait avec un sourire joyeux et caressant. Les rayons réchauffants du soleil, qui dans ce laps de temps, n’était apparu qu’à de rares intervalles, et s’était montré avare de ses douceurs, venaient enfin nous donner la douce sensation quon se rattachait de nouveau à la vie, avec plus dardeur que jamais. Un matin, mon oncle qui avait été envoyé en commission, acheter les provisions pour le besoin de la journée, nous dit en entrant : va faire beau encore aujourdhui, mais ça ne sera pas long avant que davoir du mauvais temps, car jai vu trois corneilles qui viennent de passer, sen retournant a tire daile dans la direction du sud, elles semblent être poursuivies de près par quelques fantômes invisibles.

Elles annoncent en passant « la petite hiver », dit ma tante Rose, et elle ajouta : Pauvres corneilles, cest payer bien cher une incartade, et un oublie; et dire quelles sont condamnées a subir cette humiliation tant que le monde existera. Jentendis cette remarque, mais je partais à l’instant pour ma journée de travail, bien décidé toutefois a mon retour le soir de trouver un moyen de me faire expliquer ces paroles qui me promettaient du nouveau, et qui n’étaient pas sans avoir éveillé ma curiosité. Après le repas du soir, je mempressai de questionner ma tante sur lallusion du matin, et pourquoi les corneilles devaient-elles souffrir cette humiliation tant que le monde devait exister.

Cest une vieille, vieille histoire, dit ma tante, mais puisque tu sembles lignorer je veux bien te la raconter; et dans les regards de ma tante Rose se lisait le contentement, une orgueilleuse et légitime satisfaction, en voyant tous les siens se grouper, sempresser autour delle, pour écouter encore une fois, avec une religieuse attention, ses intéressantes petites légendes.

Vous savez, dit-elle, après que Noé eut travaille cent ans a construire I’Arche sous les yeux de tous, il y entra avec sa famille, et, toujours d’après les ordres de Dieu il y fit entrer les représentants de toutes les espèces danimaux qui existaient sur la surface de la terre. Alors lhistoire nous dit : que leau tomba du ciel a torrents et s’éleva au-dessus des plus hautes montagnes. Tous les êtres animés sur terre périrent, et larche se soulevait toujours et se balançait tranquillement sur les flots. Après plusieurs mois Noé voulut sassurer si leau s’était retirée. Il ouvrit la fenêtre de larche, et lâcha le corbeau, qui ne revint pas. L’on assure que n’écoutant que ces instincts sanguinaires, le malheureux corbeau sacharnait a déchiqueter les corps morts qui flottaient ici et là sur la surface de l’eau.

En deux fois, Noé cha la colombe, qui revint la deuxième fois, portant dans son bec un rameau dolivier, annonçant aux habitants de lArche, que leau s’était enfin retirée. Noé bénit la colombe, pour avoir été fidèle a sa mission, et la colombe fut, et est encore aujourdhui I’oiseau chéri, et aime de tous. II maudit le corbeau davoir manque de lui faire rapport de lavoir trompé.

Remarquez encore dit ma tante : que lhistoire nous apprend quavant la malédiction de Noé, le corbeau était loiseau favori des hommes; son chant était doux, mélodieux, son plumage des plus rares et de toute beauté. Après la malédiction il devint noir et son chant ne fut plus quun son rauque et ahurissant.

Le lendemain, Noé fit sortir les animaux de larche, les faisant défiler devant lui.

Encore sous leffet du ressentiment éprouve a sa volonté outragée, il arrête au passage la corneille et lui dit : Toi et ton congénère le corbeau, serez condamnés a voyager continuellement sans repos, vos gouts seront voraces et sanguinaires, vos voix une suite de cris, de lamentations. Les éléments même se révolteront a votre approche et vous poursuivront de leur rigoureux courroux.

La Corneille senfuit en poussant des cris lamentables, poursuivie pendant quel que temps par toute la gente ailée, et prit une direction isolée. Longtemps elle erra, seule, abandonnée, cherchant a sisoler de plus en plus, de tout lieu qui lui représentait les charmes de la vie, se nourrissant de lambeaux de cadavres que les eaux avaient laissés ici et la en se retirant.

Un jour elle rencontra le corbeau occupe a satisfaire ses gouts voraces en dépeçant le restant dune carcasse dun animal étendu sur le sol encore détrempé. Les deux oiseaux se sachant pourchassés et nattendant plus rien de lamitié de lhomme se lièrent dans leur malheur, et senfuirent, senfonçant toujours de plus en plus dans le vide, dans la direction du Nord.

Après plusieurs jours dun voyage pénible, trainant le remord et la tristesse, ils arrivèrent dans un endroit ou tout leur paraissait pour le mieux.

À perte de vue s’étendaient des bois de pins et sapins verts gigantesques, qui semblaient les inviter, et leur offrir un refuge sur et tranquille, contre tout ce qui existait dans le reste de la création. Le sol était couvert dune mince couche de neige, comme une belle nappe blanche, qui ajoutait au décor féerique de cette terre hospitalière. À de rares endroits la terre perçait sous le travail des rayons dun soleil ardent. Tout souriait à nos deux voyageurs égarés, enfin ils pensaient pouvoir vivre en paix, loin de tout voisinage de I’homme.

Lhistoire ne le dit pas, dit ma tante Rose, mais il est tout probable que ce lieu idéal devait être notre cher beau Canada.

Le lendemain de leur arrivée dans cet endroit charmant, nos deux voyageurs éprouvèrent un réveil terrible, comme si lapparition de ces deux intrus eut soulevé la nature entière, dans ce lieu où quelques heures auparavant tout semblait respirer repos et tranquillité. Durant la nuit le ciel se couvrit d’épais nuages noirs, et la tempête éclata avec une fureur implacable. Un froid sibérien avait succédé k la douce et engageante température de la veille. La neige tombait abondante, poussée par rafales par un vent violent, tourbillonnant en tout sens, semblant vouloir tout envelopper tout détruire sur son passage; de sinistres sifflements et dhorribles rugissements tour à tour se faisant entendre, et comme lavait dit Noé, les éléments déchaînés se révoltaient, et s’élevaient pour protester contre lapparition de ces oiseaux de mauvais augure, qui étaient marqués du sceau de la malédiction de lhomme, le représentant de Dieu sur la terre.

Tous les ans, depuis, tous les printemps, trompées par lapparence, les corneilles se dirigent en toute hâte vers les régions du Nord, et toujours à la première apparition des corneilles les éléments se soulèvent avec furie pour protester contre leur arrivée dans ses parages, leur font subir cet affront et cette humiliation selon la volonté de Dieu exprimée par les paroles de son serviteur Noé.

Ce qui vous prouve avec évidence, acheva ma tante, dans une petite remontrance, que si la colère de Dieu sappesantit sur de simples oiseaux inoffensifs, que doit-on penser des châtiments terribles qui attendent lhomme, qui, sans cesse insulte et méprise les représentants de ce même Dieu de toute bonté miséricordieuse.